ANTONINA RODRIGO 
conférence  "Amparo Poch Gascon Docteresse Milicienne" 

Lors des Rencontres franco-espagnoles 
Femmes espagnoles en résistance  
Femmes libres et engagées en France

à la salle Pétrarque le 3 décembre 2021 




Antonina  nous fait partager avec humour et passion le destin d'Amparo Poch "la docteresse Allegre", fondatrice du Mouvement Mujeres libres, morte en exil à Toulouse en 1968. 

AMPARO POCH Y GASCÓN, Docteresse milicienne

"La femme marche vers son développement,

Jour après jour elle forge sa personnalité

Elle marche et s’affirme,

aborde les problèmes de front

 Et fait face à la vie.".

María Zambrano, (1928)

 

L'une de ces femmes était Amparo Poch y Gascón. Depuis l’enfance, elle avait un caractère déterminé et même sa propre famille ne la comprenait pas : d'où lui venait cette précocité lucide, cette connaissance de ce qu'elle voulait et où elle voulait aller ?

Ce n'est certes pas facile à comprendre compte tenu de ses origines familiales modestes, née dans un foyer empreint de la sévérité d’un père militaire, et d’une mère pudibonde, craignant Dieu au point de ne pas se laisser photographier parce qu'elle pensait que c'était un péché.

« Vous comprenez, elle était le malaise, la honte de la famille", nous dira sa cousine Doña María. « Une femme qui parlait en public dans les cafés, comme un homme, portant un pantalon et une cravate, écrivant dans les journaux. Son père, mon oncle, a beaucoup souffert à cause de cette fille extravagante. »

A cette époque, Marlene Dietrich,  à son retour d’Hollywood, imposera l’image, qui sera adoptée par les femmes progressistes des années 20, portant une tenue masculine : pantalon, veste et cravate. Juan Ramón Jiménez, quant à lui, offrait des cravates à María Lejárraga.

Face aux comportements sociaux de son époque, n'oublions pas que l'un des traits personnels essentiels d'Amparo Poch était la transgression, dans lequel s'inscrivait la lutte pour l'émancipation des femmes.

Dès son enfance, elle sut que la médecine était sa vocation même si son père considérait que ce n'est pas une carrière de femme. Il lui imposa le métier d'enseignante. Amparo Poch s'inscrit donc à l'Ecole Normale Supérieure d’Enseignement de Zarragoza en 1917 ;

Puis en 1922, elle s’inscrit au cours préparatoire de la Faculté de Médecine de Zaragoza où elle fut la seule femme de l'année 1922-23parmi 435 camarades de classe. L’année  suivante elles furent 4 étudiantes.

Amparo Poch est née le 15 octobre 1902 à Saragosse, dans la rue Pignatelli. Sa famille déménage dans une rue parallèle, appelée rue  de « la Miséricorde » lorsqu’elle a douze ans. Ceci fut déterminant car elle put accéder :

àl’ l'Hôpital de « Nuestra Señora de Gracia,» qui accueillait  des indigents. Elle pouvait ainsi se confronter quotidiennement au spectacle d'une humanité souffrante ;

à la Real Casa de la Misericordia, l'orphelinat où les mères abandonnaient leurs enfants aux mains de la Charité ;

et depuis l’appartement de fonction réservé aux officiers de la caserne, vulgo Pontoneros, elle voyait les soldats partir pour "servir le roi" dans les guerres coloniales en Afrique ou, en ces temps de bouleversements politiques et sociaux, l'armée pour réprimer les travailleurs.

Dans ce paysage urbain, miroir du monde des déshérités, réside certainement l’explication de son dévouement exclusif pour aider les pauvres en utilisant la médecine et la pédagogie. Engagements majeurs qui constitueront le sens véritable de sa vie.

Amparo Poch obtient son diplôme de médecin avec le prix d’excellence de l’annéez1928-29. Seule candidate femme avec 6 candidats hommes, elles ortit première.

La nouvelle docteresse en médecine et chirurgie annoncera le 13 octobre dans La Voz de Aragón l'ouverture d'une consultation médicale pour les femmes et les enfants, avec des heures d'ouverture spéciales pour les ouvrières.

En choisissant la médecine comme activité professionnelle, elle se consacrera à soulager la douleur et la souffrance des personnes qui n'avaient pas les ressources économiques nécessaires pour payer des soins médicaux, à une époque où il n'existait pas de soins de santé obligatoires. Dans le même temps, une majorité de médecins refusait de faire des visites à domicile aux malades non solvables, dans des logements surpeuplés et insalubres.

Grâce à ses connaissances en médecine et en sociologie, Amparo Poch put apporter aux femmes de la classe ouvrière des informations sur des questions essentielles. Elle s’engagea à lutter contre leur ignorance et leurs  visions et pratiques arriérées en leur dispensant des enseignements de base à travers ses écrits, ses cour et ses conférences.

Elle utilisait des formes pédagogiques adaptées pour rendre accessibles les thèmes de la maternité, des soins aux enfants, de la sexualité et de l'hygiène. Elle présentait également les grands fléaux de l'époque : syphilis, tuberculose et alcoolisme...

« La Cartilla de Consejos a las Madres » paraît à Saragosse en 1931, et l'année suivante, elle publie dans sa ville, une étude sur « La vida sexual de la Mujer ». Elle y dénonce l'"immense désert" de la résignation entretenue par l'ignorance, que constitue pour une grande partie des femmes leur propre sexualité.

Amparo Poch considérait que’ " au lieu d'être une vertu (comme le préconisait l'église), la résignation est presque toujours un défaut aux résultats désastreux".

Cette société avait imposé, pendant des siècles, la moralité publique. L'un de ses principaux dogmes sociaux consistait à préserver l'honneur des femmes, qui reposait sur l'intégrité anatomique de leur hymen, lequel "... ne pouvait être déchiré, sans honte, qu'après une bénédiction". Cela suffisait à l'Église, comme norme légale de garantie notariale, sous le regard répressif de la société, d'une chasteté garantie par une virginité qui n'existait peut-être plus.

Pendant des siècles, les tragédies qui s'étaient produites dans le monde à cause de la membrane (hymen) bénie, avaient enseveli de nombreuses victimes innocentes dans les cimetières et les couvents, avaient rempli les pages de la littérature de tous les temps et avaient instauré un commerce charnel et un délire érotique. La femme, ainsi discriminée, était la vestale de l'honneur familial, au prix de sa répression sexuelle.

Amparo Poch évoque dans « La vida sexual de la mujer » (La vie sexuelle de la femme) un événement qu'elle a vécu pendant son stage universitaire à l'hôpital de Saragosse, pour illustrer à quel point les gens associaient le déshonneur à la perte de l'hymen : une jeune femme, victime d'une maladie très douloureuse de l'appareil génital, avait dû être opérée et dans l'intervention elle avait perdu sa virginité. La jeune fille accepta que les médecins l'aient déshonorée pour ne plus souffrir. Mais avant de quitter l'hôpital, elle demanda au chirurgien un certificat attestant de la cause de son déshonneur.

Dès son plus jeune âge, Amparo Poch s'était intéressée à la théorie de l'évolution du monde scientifique, aux découvertes ou aux hypothèses suggestives, prouvées par la recherche, qu'elle a ensuite publiées dans ses écrits.

En 1933, dans la revue valencienne « Estudios », elle révèle dans un article, El hombre ante la vida, les contributions des chercheurs scientifiques, persuadés que leurs découvertes changeront le monde. Elle parlait de l'importance de la biologie, qui progressait parallèlement à la physiochimie (Darwin) ; du fait que la vie est une manifestation de la radioactivité (Zwaardemaker) ; de la manière de la prolonger (Metchnikoff) ; de son jumelage avec la chimie (Bohn) ; et de la possibilité de prolonger la vie, à terme, si la température du sang pouvait être abaissée d'un degré (Loeb).

Amparo Poch donnait des conférences sur ces sujets dans les Aténéos ouvriers et lors de manifestations de propagande, consciente de la nécessité d'éradiquer les tabous, les peurs et le sentiment de culpabilité, le péché, qui, aux yeux de l'Église, signifiait jouir librement de la sexualité car pour lui le seul objet de l’acte sexuel était la procréation.

Amparo Poch écrivit « Elogio al amor libre » (L’éloge de l’amour libre », l'une des descriptions les plus poétiques, lucides et passionnées sur le sujet, dans la revue Mujeres Libres, qu'elle fonda avec Lucía Sánchez Saornil et Mercedes Comaposada, à Madrid au printemps 1936, où elle était arrivée en 1934 de sa Saragosse natale.

Le but de la célèbre publication était de préparer les femmes intellectuellement à prendre conscience de leur condition, et de les aider à s’émanciper des atavismes ancestraux.

Le magazine anarchiste « Mujeres Libres » a été une réalisation essentielle pour le développement et l'émancipation des femmes travailleuses au milieu des années 1930. Il s'agit d'une révolution pacifique qui a transformé le panorama social, professionnel et culturel des femmes actives, face au niveau élevé d'analphabétisme qui prévalait.

·        Revendiquer le vieux débat sur l'égalité de l'homme et de la femme, avec un salaire égal, précepte accepté au Congrès de Saragosse en avril 1872 ;

·        Bannir l'ignorance des tabous qui les empêchaient de jouir de leur corps en liberté ;

·        Abolir la prostitution, des classes les moins protégées. Pour leur réadaptation et leur réinsertion sociale, des librairies de prostitution ont été créées ; des écoles rationalistes, des cantines, des crèches.

Amparo Poch inaugurera dans la revue la rubrique« Sanatorium de l'optimisme », sous le nom du Docteur Santé Alègre (gaie), article dans lequel elle aiguisera son sens critique, où l’ironie prévaut, où elle emploie un ton humoristique, où elle fait ses propres illustrations.

Une autre marque d'Amparo Poch dans cette publication était ses poèmes inspirés par la lutte du peuple contre le fascisme.

La vie d'Amparo Poch, aux objectifs clairement émancipateurs, fût marquée par un altruisme inlassable en faveur des causes justes.

À Valence, en 1936, elle devient directrice de l'assistance sociale avec le Dr Mercedes Maestre, sous le mandat de la ministre de la santé Federica Montseny, qui proposera cette charge à la docteresse Poch.

Par un arrêté du 26 aout 1936, Amparo est nommée membre de la protection de l’effort et de défense de la république, créé par le ministère de l’instruction publique pour représenter le parti syndicaliste.

A Barcelone en 1937, elle dirige la Casa de la Dona Treballadora où les femmes sont formées grâce à un programme culturel, professionnel et social.

100 jeunes réfugiés de Madrid sont placés sous son autorité pour suivre un programme d’enseignement.

En pleine guerre, elle fut responsable de l’évacuation d’enfants emmenés hors de nos frontières pour les mettre à l'abri de la faim et des bombes. Mercedes Comaposada a noté que : "L'aspect le plus frappant de sa personnalité a toujours été sa capacité de travail et cette splendide générosité qui transcendait sa nature exubérante et infatigable".

 Après la Première Guerre mondiale, des campagnes antimilitaristes ont vu le jour, accueillies par des organisations anarchistes, notamment le puissant syndicat de la CNT. En 1936, Amparo Poch occupe la présidence de la Liga Española de Refractariosa la Guerra, dont José Brocca était membre. Le Dr Poch s'est donc battu contre la guerre, sur tous les fronts, de la seule manière dont un humaniste de sa stature pouvait le faire : Elle était chargée de l'évacuation de centaines d'enfants vers la France et le Mexique. Sa ligne de front était dans les salles d'opération et les hôpitaux de sang et de campagne.

Elle a poursuivi son travail humanitaire en exil.

Au début de 1939, elle est entrée en France par Prats de Molló, en gardant un groupe d'enfants réfugiés. En septembre 1939, au début de la Seconde Guerre mondiale, elle s'installe à Nîmes, où elle survit en peignant des foulards et en brodant pour un grand magasin. Et, surtout, elle exerce son métier dans la clandestinité, pour les personnes qui faisaient appel à ses services, au risque d'être extradée vers l'Espagne franquiste, car il était interdit aux réfugiés d'exercer librement leur profession.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Amparo Poch s'installe à Toulouse, où l'ordonnance du 6 août 1945, dans son article 3, autorise les médecins espagnols à exercer dans le pays d'accueil.

À l'hôpital de Varsovie, à Toulouse, elle soigne les guérilleros espagnols, et au dispensaire de la Croix-Rouge de la rue Pergaminiêres, elle travaille comme médecin généraliste et gynécologue, sans renoncer à ses contributions à la presse de l'exil et à l'éducation sanitaire, avec le dévouement qui caractérise sa vie militante et altruiste.

 Au printemps 1961, Marie Laffranque, professeur d'université à Toulouse, prestigieuse hispaniste et grande spécialiste de Lorca, appartenant au groupe "Nosotros", groupe d'action non-violente contre la "guerre d'Algérie", contacte AmparoPoch. Elle organisait l'envoi de personnel médical de France en Algérie, pour s'occuper de la population indigène démunie, et en particulier du quartier le plus pauvre de la ville d'Alger : La kasbah. Elle propose à Amparo Poch de collaborer à ce projet qui donne son accord sur le champ pour rejoindre l’équipe médicale en Algérie. La signature de l'accord de paix avec la France annule l'engagement d'Amparo Poch.

En septembre 1962, un groupe de réfugiés espagnols, collaborateurs de la revue Mujeres Libres, dispersés lors de leur arrivée en France en 1939, en exil à travers l’Europe et en Amérique se réunissent à Paris, dans un local de la rue Saint Saint-Denis, avec le rêve de poursuivre la publication de la revue Mujeres Libres.

Sucesso Portales, qui vivait à Londres à l’époque, s'est rendu à Paris pour mettre le projet en route.

Selon les déclarations de Sara Berenguer, elle est à l'origine de l'initiative de publier ce qu'ils ont appelé : Porte-parole de la Fédération des femmes libres d'Espagne en exil. En fait, Sucesso et Sara étaient responsables du tirage du magazine, qu'elles éditaient dans leur propre maison de la Plaine des Astres, à Montady, près de Béziers.

La détermination de ces anciennes combattantes à faire revivre le rêve du printemps de leur vie était implicite lorsqu'il s'agissait de montrer à une jeunesse, née sous Franco, le travail de femmes prolétaires, dont la plupart n'avaient que quelques années de scolarité, leur capacité de sacrifice au milieu d'un exil hostile, dans lequel elles avaient obtenu la solidarité et l'engagement clandestin comme base de survie. La volonté de ne pas abandonner face aux difficultés, lorsque les projets se brisent et que les rêves sont éclipsés.

Elles avaient conservé l'esprit combatif qui leur avait été prodigué par le magazine Mujeres Libres. Même à l'automne 1938, alors que l'espoir de gagner la partie contre le fascisme était encore fragile, ces miliciennes, qui brisaient le tabou : la guerre est une affaire d'hommes, lançaient un appel à la femme réfugiée : " Camarade réfugiée : puisque tu as perdu, temporairement, ta terre et ta maison, ne perds pas ton temps. Préparez-vous à la lutte et à la reconstruction de votre vie, en vous formant dans les cours gratuits du Casal de la Dona Treballadora".

À la fin de l'année 1967, Amparo Poch, appelée l’Ange gardien des réfugiés espagnols, loin de sa ville natale, Saragosse, tombe malade. Elle veut retourner dans sa patrie, mais ses sœurs catholiques ferventes le lui interdisent, étant donné sa vie de mécréante, loin de l'église.  Amparo Poch décède d'un cancer à Toulouse le 15 avril 1968, assistée par ses compagnons d'exil à qui elle a légué ses livres et ses maigres biens.

Nous devons aujourd'hui le remarquable processus de notre émancipation à ces combattantes d'avant-garde, pionnières hors pair, qui ont dû mener seules des batailles, dans les usines, les syndicats, l'atelier, dans tous les domaines, dans une société réprimée.

Malgré l'abolition par le régime franquiste, des lois d'émancipation obtenues par elles, après tant d'années considérées comme des hors-la-loi, leurs luttes, leur engagement, leur leçon de dignité, nous ont aidés dans notre libération, et ceci dans la mémoire tragique et lumineuse de leurs exils étrangers et intérieurs : prisons, tortures, exécutions dans les murs et fosses communes, que résidait, libératrice, le germe de la résistance contre le fascisme.

             

Antonina Rodrigo

Traduction Manuela Parra

 

 

 

 

 

 

 


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