Antonina nous fait partager avec humour et passion le destin d'Amparo Poch "la docteresse Allegre", fondatrice du Mouvement Mujeres libres, morte en exil à Toulouse en 1968.
AMPARO POCH Y GASCÓN, Docteresse milicienne
"La femme marche vers son
développement,
Jour après jour elle forge sa personnalité
Elle marche et s’affirme,
aborde les problèmes de front
Et fait face à la vie.".
María Zambrano, (1928)
L'une de ces femmes était Amparo Poch y Gascón. Depuis l’enfance, elle avait un caractère déterminé et même sa propre famille ne la comprenait pas : d'où lui venait cette précocité lucide, cette connaissance de ce qu'elle voulait et où elle voulait aller ?
Ce n'est certes pas facile à
comprendre compte tenu de ses origines familiales modestes, née dans un foyer
empreint de la sévérité d’un père militaire, et d’une mère pudibonde, craignant
Dieu au point de ne pas se laisser photographier parce qu'elle pensait que
c'était un péché.
« Vous comprenez, elle était le
malaise, la honte de la famille", nous dira sa
cousine Doña María. « Une femme qui parlait en public dans les cafés,
comme un homme, portant un pantalon et une cravate, écrivant dans les journaux.
Son père, mon oncle, a beaucoup souffert à cause de cette fille extravagante. »
A cette époque, Marlene Dietrich, à son retour d’Hollywood, imposera l’image,
qui sera adoptée par les femmes progressistes des années 20, portant une tenue
masculine : pantalon, veste et cravate. Juan Ramón Jiménez, quant à lui,
offrait des cravates à María Lejárraga.
Face aux comportements sociaux de son
époque, n'oublions pas que l'un des traits personnels essentiels d'Amparo Poch
était la transgression, dans lequel s'inscrivait la lutte pour l'émancipation
des femmes.
Dès son enfance, elle sut que la
médecine était sa vocation même si son père considérait que ce n'est pas une
carrière de femme. Il lui imposa le métier d'enseignante. Amparo Poch s'inscrit
donc à l'Ecole Normale Supérieure d’Enseignement de Zarragoza en 1917 ;
Puis en 1922, elle s’inscrit au cours
préparatoire de la Faculté de Médecine de Zaragoza où elle fut la seule femme
de l'année 1922-23parmi 435 camarades de classe. L’année suivante elles furent 4 étudiantes.
Amparo Poch est née le 15 octobre 1902
à Saragosse, dans la rue Pignatelli. Sa famille déménage dans une rue parallèle,
appelée rue de « la
Miséricorde » lorsqu’elle a douze ans. Ceci fut déterminant car elle put accéder :
àl’ l'Hôpital de « Nuestra Señora
de Gracia,» qui accueillait des
indigents. Elle pouvait ainsi se confronter quotidiennement au spectacle d'une
humanité souffrante ;
à la Real Casa de la Misericordia,
l'orphelinat où les mères abandonnaient leurs enfants aux mains de la Charité ;
et depuis l’appartement de fonction
réservé aux officiers de la caserne, vulgo Pontoneros, elle voyait les soldats partir
pour "servir le roi" dans les guerres coloniales en Afrique ou, en
ces temps de bouleversements politiques et sociaux, l'armée pour réprimer les
travailleurs.
Dans ce paysage urbain, miroir du
monde des déshérités, réside certainement l’explication de son dévouement
exclusif pour aider les pauvres en utilisant la médecine et la pédagogie. Engagements
majeurs qui constitueront le sens véritable de sa vie.
Amparo Poch obtient son diplôme de
médecin avec le prix d’excellence de l’annéez1928-29. Seule candidate femme
avec 6 candidats hommes, elles ortit première.
La nouvelle docteresse en médecine et
chirurgie annoncera le 13 octobre dans La Voz de Aragón l'ouverture d'une
consultation médicale pour les femmes et les enfants, avec des heures
d'ouverture spéciales pour les ouvrières.
En choisissant la médecine comme activité
professionnelle, elle se consacrera à soulager la douleur et la souffrance des
personnes qui n'avaient pas les ressources économiques nécessaires pour payer
des soins médicaux, à une époque où il n'existait pas de soins de santé
obligatoires. Dans le même temps, une majorité de médecins refusait de faire
des visites à domicile aux malades non solvables, dans des logements surpeuplés
et insalubres.
Grâce à ses connaissances en médecine
et en sociologie, Amparo Poch put apporter aux femmes de la classe ouvrière des informations
sur des questions essentielles. Elle s’engagea à lutter contre leur ignorance
et leurs visions et pratiques arriérées en leur dispensant des enseignements de
base à travers ses écrits, ses cour et ses conférences.
Elle utilisait des formes pédagogiques
adaptées pour rendre accessibles les thèmes de la maternité, des soins aux
enfants, de la sexualité et de l'hygiène. Elle présentait également les grands
fléaux de l'époque : syphilis, tuberculose et alcoolisme...
« La Cartilla de Consejos a las
Madres » paraît à Saragosse en 1931, et l'année suivante, elle publie dans
sa ville, une étude sur « La vida sexual de la Mujer ». Elle y dénonce
l'"immense désert" de la résignation entretenue par l'ignorance, que
constitue pour une grande partie des femmes leur propre sexualité.
Amparo Poch considérait que’ " au
lieu d'être une vertu (comme le préconisait l'église), la résignation est
presque toujours un défaut aux résultats désastreux".
Cette société avait imposé, pendant
des siècles, la moralité publique. L'un de ses principaux dogmes sociaux
consistait à préserver l'honneur des femmes, qui reposait sur l'intégrité
anatomique de leur hymen, lequel "... ne pouvait être déchiré, sans honte,
qu'après une bénédiction". Cela suffisait à l'Église, comme norme légale
de garantie notariale, sous le regard répressif de la société, d'une chasteté
garantie par une virginité qui n'existait peut-être plus.
Pendant des siècles, les tragédies qui
s'étaient produites dans le monde à cause de la membrane (hymen) bénie, avaient
enseveli de nombreuses victimes innocentes dans les cimetières et les couvents,
avaient rempli les pages de la littérature de tous les temps et avaient instauré
un commerce charnel et un délire érotique. La femme, ainsi discriminée, était
la vestale de l'honneur familial, au prix de sa répression sexuelle.
Amparo Poch évoque dans « La vida
sexual de la mujer » (La vie sexuelle de la femme) un événement qu'elle a
vécu pendant son stage universitaire à l'hôpital de Saragosse, pour illustrer à
quel point les gens associaient le déshonneur à la perte de l'hymen : une jeune
femme, victime d'une maladie très douloureuse de l'appareil génital, avait dû
être opérée et dans l'intervention elle avait perdu sa virginité. La jeune fille
accepta que les médecins l'aient déshonorée pour ne plus souffrir. Mais avant
de quitter l'hôpital, elle demanda au chirurgien un certificat attestant de la
cause de son déshonneur.
Dès son plus jeune âge, Amparo Poch s'était
intéressée à la théorie de l'évolution du monde scientifique, aux découvertes
ou aux hypothèses suggestives, prouvées par la recherche, qu'elle a ensuite
publiées dans ses écrits.
En 1933, dans la revue valencienne « Estudios »,
elle révèle dans un article, El hombre ante la vida, les contributions des
chercheurs scientifiques, persuadés que leurs découvertes changeront le monde. Elle
parlait de l'importance de la biologie, qui progressait parallèlement à la
physiochimie (Darwin) ; du fait que la vie est une manifestation de la
radioactivité (Zwaardemaker) ; de la manière de la prolonger (Metchnikoff) ; de
son jumelage avec la chimie (Bohn) ; et de la possibilité de prolonger la vie,
à terme, si la température du sang pouvait être abaissée d'un degré (Loeb).
Amparo Poch donnait des conférences
sur ces sujets dans les Aténéos ouvriers et lors de manifestations de
propagande, consciente de la nécessité d'éradiquer les tabous, les peurs et le
sentiment de culpabilité, le péché, qui, aux yeux de l'Église, signifiait jouir
librement de la sexualité car pour lui le seul objet de l’acte sexuel était la
procréation.
Amparo Poch écrivit « Elogio al
amor libre » (L’éloge de l’amour libre », l'une des descriptions les
plus poétiques, lucides et passionnées sur le sujet, dans la revue Mujeres
Libres, qu'elle fonda avec Lucía Sánchez Saornil et Mercedes Comaposada, à
Madrid au printemps 1936, où elle était arrivée en 1934 de sa Saragosse natale.
Le but de la célèbre publication était
de préparer les femmes intellectuellement à prendre conscience de leur
condition, et de les aider à s’émanciper des atavismes ancestraux.
Le magazine anarchiste « Mujeres
Libres » a été une réalisation essentielle pour le développement et
l'émancipation des femmes travailleuses au milieu des années 1930. Il s'agit
d'une révolution pacifique qui a transformé le panorama social, professionnel
et culturel des femmes actives, face au niveau élevé d'analphabétisme qui prévalait.
·
Revendiquer le vieux débat sur
l'égalité de l'homme et de la femme, avec un salaire égal, précepte accepté au
Congrès de Saragosse en avril 1872 ;
·
Bannir l'ignorance des tabous qui les
empêchaient de jouir de leur corps en liberté ;
·
Abolir la prostitution, des classes
les moins protégées. Pour leur réadaptation et leur réinsertion sociale, des
librairies de prostitution ont été créées ; des écoles rationalistes, des
cantines, des crèches.
Amparo Poch inaugurera dans la revue
la rubrique« Sanatorium de l'optimisme », sous le nom du Docteur
Santé Alègre (gaie), article dans lequel elle aiguisera son sens critique, où
l’ironie prévaut, où elle emploie un ton humoristique, où elle fait ses propres
illustrations.
Une autre marque d'Amparo Poch dans
cette publication était ses poèmes inspirés par la lutte du peuple contre le
fascisme.
La vie d'Amparo Poch, aux objectifs clairement
émancipateurs, fût marquée par un altruisme inlassable en faveur des causes
justes.
À Valence, en 1936, elle devient
directrice de l'assistance sociale avec le Dr Mercedes Maestre, sous le mandat
de la ministre de la santé Federica Montseny, qui proposera cette charge à la
docteresse Poch.
Par un arrêté du 26 aout 1936, Amparo
est nommée membre de la protection de l’effort et de défense de la république,
créé par le ministère de l’instruction publique pour représenter le parti
syndicaliste.
A Barcelone en 1937, elle dirige la
Casa de la Dona Treballadora où les femmes sont formées grâce à un programme
culturel, professionnel et social.
100 jeunes réfugiés de Madrid sont
placés sous son autorité pour suivre un programme d’enseignement.
En pleine guerre, elle fut responsable
de l’évacuation d’enfants emmenés hors de nos frontières pour les mettre à l'abri
de la faim et des bombes. Mercedes Comaposada a noté que : "L'aspect le
plus frappant de sa personnalité a toujours été sa capacité de travail et cette
splendide générosité qui transcendait sa nature exubérante et
infatigable".
Après la Première Guerre mondiale, des
campagnes antimilitaristes ont vu le jour, accueillies par des organisations
anarchistes, notamment le puissant syndicat de la CNT. En 1936, Amparo Poch
occupe la présidence de la Liga Española de Refractariosa la Guerra, dont José
Brocca était membre. Le Dr Poch s'est donc battu contre la guerre, sur tous les
fronts, de la seule manière dont un humaniste de sa stature pouvait le faire :
Elle était chargée de l'évacuation de centaines d'enfants vers la France et le
Mexique. Sa ligne de front était dans les salles d'opération et les hôpitaux de
sang et de campagne.
Elle a poursuivi son travail
humanitaire en exil.
Au début de 1939, elle est entrée en
France par Prats de Molló, en gardant un groupe d'enfants réfugiés. En
septembre 1939, au début de la Seconde Guerre mondiale, elle s'installe à
Nîmes, où elle survit en peignant des foulards et en brodant pour un grand
magasin. Et, surtout, elle exerce son métier dans la clandestinité, pour les
personnes qui faisaient appel à ses services, au risque d'être extradée vers
l'Espagne franquiste, car il était interdit aux réfugiés d'exercer librement
leur profession.
À la fin de la Seconde Guerre
mondiale, Amparo Poch s'installe à Toulouse, où l'ordonnance du 6 août 1945,
dans son article 3, autorise les médecins espagnols à exercer dans le pays
d'accueil.
À l'hôpital de Varsovie, à Toulouse,
elle soigne les guérilleros espagnols, et au dispensaire de la Croix-Rouge de
la rue Pergaminiêres, elle travaille comme médecin généraliste et gynécologue,
sans renoncer à ses contributions à la presse de l'exil et à l'éducation
sanitaire, avec le dévouement qui caractérise sa vie militante et altruiste.
Au printemps 1961, Marie Laffranque,
professeur d'université à Toulouse, prestigieuse hispaniste et grande
spécialiste de Lorca, appartenant au groupe "Nosotros", groupe
d'action non-violente contre la "guerre d'Algérie", contacte
AmparoPoch. Elle organisait l'envoi de personnel médical de France en Algérie,
pour s'occuper de la population indigène démunie, et en particulier du quartier
le plus pauvre de la ville d'Alger : La kasbah. Elle propose à Amparo Poch de
collaborer à ce projet qui donne son accord sur le champ pour rejoindre
l’équipe médicale en Algérie. La signature de l'accord de paix avec la France
annule l'engagement d'Amparo Poch.
En septembre 1962, un groupe de
réfugiés espagnols, collaborateurs de la revue Mujeres Libres, dispersés lors
de leur arrivée en France en 1939, en exil à travers l’Europe et en Amérique se
réunissent à Paris, dans un local de la rue Saint Saint-Denis, avec le rêve de
poursuivre la publication de la revue Mujeres Libres.
Sucesso Portales, qui vivait à Londres
à l’époque, s'est rendu à Paris pour mettre le projet en route.
Selon les déclarations de Sara
Berenguer, elle est à l'origine de l'initiative de publier ce qu'ils ont appelé
: Porte-parole de la Fédération des femmes libres d'Espagne en exil. En fait,
Sucesso et Sara étaient responsables du tirage du magazine, qu'elles éditaient
dans leur propre maison de la Plaine des Astres, à Montady, près de Béziers.
La détermination de ces anciennes
combattantes à faire revivre le rêve du printemps de leur vie était implicite lorsqu'il
s'agissait de montrer à une jeunesse, née sous Franco, le travail de femmes
prolétaires, dont la plupart n'avaient que quelques années de scolarité, leur
capacité de sacrifice au milieu d'un exil hostile, dans lequel elles avaient
obtenu la solidarité et l'engagement clandestin comme base de survie. La
volonté de ne pas abandonner face aux difficultés, lorsque les projets se
brisent et que les rêves sont éclipsés.
Elles avaient conservé l'esprit
combatif qui leur avait été prodigué par le magazine Mujeres Libres. Même à
l'automne 1938, alors que l'espoir de gagner la partie contre le fascisme était
encore fragile, ces miliciennes, qui brisaient le tabou : la guerre est une
affaire d'hommes, lançaient un appel à la femme réfugiée : " Camarade
réfugiée : puisque tu as perdu, temporairement, ta terre et ta maison, ne perds
pas ton temps. Préparez-vous à la lutte et à la reconstruction de votre vie, en
vous formant dans les cours gratuits du Casal de la Dona Treballadora".
À la fin de l'année 1967, Amparo Poch,
appelée l’Ange gardien des réfugiés espagnols, loin de sa ville natale, Saragosse,
tombe malade. Elle veut retourner dans sa patrie, mais ses sœurs catholiques ferventes
le lui interdisent, étant donné sa vie de mécréante, loin de l'église. Amparo Poch décède d'un cancer à Toulouse le
15 avril 1968, assistée par ses compagnons d'exil à qui elle a légué ses livres
et ses maigres biens.
Nous devons aujourd'hui le remarquable
processus de notre émancipation à ces combattantes d'avant-garde, pionnières hors
pair, qui ont dû mener seules des batailles, dans les usines, les syndicats,
l'atelier, dans tous les domaines, dans une société réprimée.
Malgré l'abolition par le régime
franquiste, des lois d'émancipation obtenues par elles, après tant d'années considérées
comme des hors-la-loi, leurs luttes, leur engagement, leur leçon de dignité,
nous ont aidés dans notre libération, et ceci dans la mémoire tragique et
lumineuse de leurs exils étrangers et intérieurs : prisons, tortures,
exécutions dans les murs et fosses communes, que résidait, libératrice, le
germe de la résistance contre le fascisme.
Antonina Rodrigo
Traduction Manuela Parra
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