Les sentes de l’exil À Sédika
Combien de kilomètres
Pour trouver un havre de paix
Pour laisser les chagrins de la guerre
Dans les ruines du passé ?
Pour endormir les tirs en rafale
Pour atténuer le souffle de la bombe
Pour mettre en repos la peur
Ne plus raser les murs de cette ville meurtrie ?
Tu pris tes enfants d’une main sûre
Et les guidas vers l’ailleurs d’un autre monde
Où n’est plus la terreur des balles
N’appréhender plus les contrôles
Et retrouver la sérénité des jours
Mais des nuits pleines de fantômes
Des lambeaux de ton cœur sont restés
De tous ces cauchemars traversés
Des aimés dans le cimetière de l’oubli
Les dunes des tombes sur la colline
Sous l’éclatante lumière de l’Hindou Kouch
Les mines qui pulvérisent le chemin
Les contrôles des armes en bandoulière
Et l’esprit en terreur au turban qui t’interroge
Surtout, ne pas ciller
Les souvenirs roulés dans un chignon
Oui, l’époux est à la maison
Alors qu’il repose sous la dune
Car être veuve est un poison
Sur ce sol de cailloux de pierre et de poussière
Des pierres pour lapider dans la honte du péché
Et surtout, point de pitié
Les choisir petites pour faire durer le calvaire
Tristesse sur les murs de la ville
Tristesse sous l’ombre des toits en terrasse
Face à la menace de l’arme au flanc
Dissimuler le tremblement
Camoufler la fuite
Y’a trop de deuils dans les foyers
Juste la peur à traîner le long des fossés
Marre de cette peur qui colle comme un suaire
Marre de ces abeilles qui font éclater les vitres
Marre de ces transports qui explosent
Des lambeaux de chair pour enterrer nos morts
Un pays à la terreur advenue
L’enfance assassinée, vendue
La culture reniée, interdite
Ne fait fleurir que les ruines
Des garçonnets qui lustrent les automobiles
Pour grappiller quelques afghanis
Pas de gants, pas de chaussures
Plus de jeu, plus d’école
Juste la boue et la neige sale
La fillette voudrait aller à l’école
Bien mal lui prend, se travestit en garçon
Echappe au jet de pierres
Pour le lit d’un pervers
Pauvre pays meurtri
Par trente années de conflits
Ecartelé par les grandes puissances
Sur une môle de guerre froide
Sur l’esclavage des trafics
Sur les profits de l’opium !
Et celui qui parade
Tout ce sang sur ses mains
« Où va-t-il tout ce sang ? », demandait
Prévert
Il coule dans le ruisseau de la misère
Il ruisselle de la vente des enfants
Il gronde sous les bombes
C’est le sang de la colère
Le sang de la misère sur la terre
Le sang de l’innocence !
Tu fuis, ne veux plus le sentir tout ce sang
Mais il colle son odeur suave contre ton épaule
Il n’en finit plus de murmurer ses plaintes
D’exhaler, de hurler ses douleurs
Le sang de la vierge vendue
Le sang du mutilé, du condamné
Ce n’est plus le sang du bonheur
C’est celui du viol en punition
Pour expier quelle faute ?
Peut-être juste parce que tu existes
Pour éteindre ce qui vit !
Se peut-il que la douleur s’estompe ?
Se peut-il que l’on oublie ?
Des lambeaux de ton cœur sont restés
Un cœur scindé, fracturé, éclaté
Comment rassembler les lambeaux de ton cœur ?
Tu as mis tes petits à l’abri
Mais tes frères, tes sœurs où sont-ils donc partis ?
Sont-ils encore en vie ?
Nous étions un peuple fier
Qu’est devenu cet orgueil ?
Dans la gueule des canons ?
Sous les bâches des camions ?
Tu suis la pente sous le tremblement de l’étoile
Bien dissimulée sous le voile
Dans le suaire de cette nuit sans lune
Nous profilons telles des ombres
Ecorchons nos pieds sur ce sol de pierre à fusils
Cessez de nous inonder de vos armes
Nous, n’avons plus de larmes
Nos yeux délavés d’avoir tant pleuré
Nos jeunes ne connaissent pas ce qu’est la paix
Le feu de ces armes, vous n’en vouliez plus
Vous avez exporté vos guerres
Votre guerre froide sur nos lits de tulipes
Et nous prompt au feu, nous sommes saisis des fusils
Nous les avons faits nôtres
Et ce sont nos enfants qui saignent
Nos toiles de Kuchis dispersées sur vent d’exil
Viennent grossir les bidonvilles
S’agrippent aux pentes de la ville
Le bois a déserté les collines
Des enfants portefaix de plus en plus chargés
Dans l’arrière souvenir d’un passé prestigieux
De conquérants glorieux
D’un peuple de fontaines, de roses et de rossignols
De rossignols et de sages
Passé, de loin tu nous es revenu
Sur les mélodies du tabla, de l’harmonium et des chants
Mais la musique interdite, restent les pierres pour lapider
Les pierres sur les sentes de l’exil
Mon douloureux pays, un jour je te reviendrai
Je viendrai dans ma terre gésir
Tout près d’Hadji Amir
Je reviens, me voici !
Marie-Agnès Salehzada
Sédika a vécu une vingtaine d’années
à Montpellier, elle a été inhumée en avril 2014 dans le cimetière de Kaboul à
côté de son époux Hadji Amir.
Commentaires
Enregistrer un commentaire