POÉSIE ET MÉMOIRE 

Le temps de l'exil... toujours l'exil

Manuela Parra 


Poèmes du "Romancero gitano" de Federico Garcia Lorca 
recopiés dans le camp d'Argelès-sur-Mer 


Comme chaque année, le mois de février annonce le temps des commémorations de l'exil des espagnoles et des espagnols dans un premier temps en France  obligés à l'exil. 
Un petit rappel à travers des extraits de mes publications pour leur rendre hommage. 

Fille de rouge sur les traces de l’exil.

Manuela Parra

  

« Je suis née de hasard parce que l’œil du cyclope Franco n’a pas pu être énucléé.

Fille de républicain espagnol, fille de Rouge, une couleur agitée en muleta par le dictateur Franco pour faire peur.  Mon père Juan Antonio Parra Baeza, capitaine dans l’armée républicaine, avait le choix de défendre la République espagnole sortie des urnes en avril 1931. 

A sa mort, j’ai reçu un héritage étrange : ma mère me remit des feuilles d’un carnet jaunis par le temps. C’était des poèmes écrits d’une belle écriture. Elle me dit  : « ton père les avait écrits dans les camps».

Je ne connaissais rien de de ces camps, ni d’ailleurs de ces poèmes…L’âge venant j’ai eu envie de percer ces mystères et j’ai entrepris un périple difficile pour découvrir les beaux recoins, de mon histoire que mon père, ce taiseux, m’avait dérobés.

 J’empruntai donc les chemins de la mémoire, armée de ce butin et de quelques phrases-souvenirs enfouis depuis l’enfance. 

Dans quelques cartons cachés, j’ai découvert des témoignages écrits, des documents historiques, des photos révélant une jeunesse éclatante, fière bien qu’emprisonnée derrière des barbelés.

Peu à peu, j’ai rebroussé le chemin de l’exil emprunté par mon père, par ces Rouges trahis, abandonnés, livrés au mépris. 

J’ai écrit, j’ai gravé, j’ai parcouru l’Europe, la France et l’Espagne pour transmettre à mon tour mon héritage, notre histoire »

 L’exil n’est jamais consenti, c’est une douleur, elle colle à la peau ..

quelques poèmes pour le rappeler


Cerbère,  une frontière, 
Cerbère le chien gardien de la porte de l’enfer. 
La France un enfer pour ces républicains  

Cerbère 

De ce côté de la frontière

Les loups hurlaient

La mort nous attendait

De l’autre côté de la frontière

Réfugier notre liberté

Un espoir, la solidarité

 Mais

Des deux côtés de la frontière

Nous étions mal aimés

Apatrides sur un fil

Rejetés à la mer

Par- delà les montagnes


Quelques mains tendues

Pour prendre ou pour donner


La souffrance de l’exil

Les blessures accumulées

La peur, le froid

 La mort des deux côtés

  

  

LA RETIRADA LA FRONTIERE

Dans les derniers jours de janvier 1939 et jusqu’au 9 février, 500 000 espagnols, républicains hommes, femmes, enfants marchent sur le sol gelé, nuits et jours, dans le froid, dans la neige, sous les bombes fascistes. Ils espèrent rejoindre la France par la montagne, par les routes, les chemins. Ils savent que les hordes fascistes sont prêtes à massacrer hommes, femmes, enfants comme en Andalousie, … à Moguer, à Séville…Guillena à Badajoz.

 Aux portes des frontières, les fugitifs épuisés attendent qu’on les laisse entrer. Certains privilégiés passent. Les autres attendent. Les enfants pleurent. Les femmes ont peur.

Ils attendent derrière les barrières des frontières sous les regards méprisants, hostiles, sous les coups parfois.

La frontière s’ouvre… aux enfants et aux femmes le 27 janvier puis aux blessés et au civil et enfin jusqu’au 9 févier aux 
50 000 soldats républicains.  

 La France : Un mirage…

Cinquante mille gendarmes soldats les accueillent en « indésirables ». ces  défenseurs d’une république sont fouillés, dépouillés, bousculés, triés, délestés des quelques biens qu’ils avaient pu emporter dans leur fuite dès la défaite de la bataille de l’Èbre le 16 novembre et la chute de Barcelone en janvier 1939. Les gendarmes les incitent même à retourner en Espagne où on sait qu’ils seront fusillés

La propagande de Franco avait été efficace :il les décrit comme des Rouges, mangeurs d’enfants, voleurs sanguinaires...voilà ce qu’il dira pour faire peur !  Certains soldats traversent les villages sous le bruit des volets qui claquent  à leur passage… On s’étonne parfois, « ce sont des hommes, ce ne sont pas des diables, diront des enfants des villageois……

500 000 drames, destins détournés, des familles tiraillées, des hommes et femmes séparées. Avec leurs enfants, on les entasse dans des trains vers des destinations inconnues. Certains mettront plusieurs années à se retrouver.

 

 L’exil à tout prix

Passer le trait

Un pas

Engager le corps

Enjamber la ligne

Fil tendu, mystères

Espoir ou horizon noir

Vaincre le froid

Tout tenter pour ressusciter

 

Aux abois, je marche avec peine

Le poids d’une vie abandonnée qu’il faut nier

Celle espérée sera-t-elle plus légère ?

 Je rêve

J’ai peur

L’ombre froide apparaît

Les chiens, les cris, les ordres

Langue obscure, regards échangés

Mutisme du cœur, méfiances étrangères

Il vise, il tire, il me transperce

 Allongé dans la boue, ivre de ma chaleur

Je bois le bruissement des feuilles

Mes paupières alourdies s’apaisent et je meurs

   

LES CAMPS

 

Les hommes sont conduits encadrés par les gardes mobiles vers un seul refuge : une plage déserte, Argelès. Les espagnols seront obligés de poser les barbelés qui vont les enfermer.

Les gardes mobiles armés surveillent ces  civils, militaires, ouvriers, paysans, intellectuels, artistes.

 Il y a la mer comme seule ressource pour se laver, boire, pour tout autre besoin de première nécessité.

Il fait froid. Ils creusent avec leurs mains des trous dans le sable où ils se réfugient. Il y a les chanceux avec leur manta qui les protège…

Il y a les malchanceux qui meurent de froid, de dysenterie, de désespoir, « l’Arenitis », la maladie du sable. Il y eu beaucoup de morts 15 000 dit-on.

 « Le sable m’a pénétré, corps et âme

Et j’ai envie de pleurer, pleurer,

Afin de sécher l’encre avec laquelle j’écris

Parce que je vais pleurer du sable »

 

Il y a ceux disposés à ne pas mourir. 

« Nous étions capables d’imaginer toutes les astuces, en trois jours, nous avons déjoué la surveillance des Sénégalais, des Maures et des gendarmes, nous avons sauté par-dessus les barbelés pour mettre en pièces les autos et les camions de l’armée républicaine, amoncelés dans un cimetière de voitures voisin du camp, ainsi avec les morceaux récupérés, nous avons construit des abris dans lesquels nous vivions en collectivité ». Resistance jusqu’au bout.

 

Ces républicains espagnols, ces indésirables, ces rouges tel que Franco les appelait quel que soit leur appartenance politique, un surnom qui restera en France,

Ces républicains abandonnés trahis, ont souffert dans les camps en France.

 

Rouge

Rouge vif

Rouge à vif

Rouge à vie

 Pain

Pain jeté

Pain mangé

Pain gagné

Barbelés

Piquets

Genoux ployés

Genoux blessés

 Espoir

No pasarán !

Ils sont passés

Nous avons été abandonnés

Nous sommes enfermés.

 

Dans les camps, ils seront surveillés. Ceux qui s’échapperont seront ramenés par la gardes mobiles. Ils connaitront l’« Hipodromo ». Ils seront attachés, parfois nus, à des piquets durant plusieurs jours ou seront obligés de tourner entre des rangées de barbelés jusqu’à l’épuisement.  Voilà le sort des combattants de la république.

Il y a eu des élans de solidarité d’artistes français, de partis politiques français, du secours populaire, de la croix rouge, d’individus humanistes envers ces espagnols meurtris abandonnés et reniés.

Cette terrible histoire : notre mémoire, votre mémoire…. Hélas une histoire sans fin…

 

SOL Y ARENA

Fracas

Le gong de la soif tord le bidon

Assommé de chaleur, inondé de poussière, j’attends

Que le cercle maléfique m’assène les coups de ses assauts

 Rouge dès le matin, ses lances me pointent, me menacent

J’entre en résistance, me prépare au combat

Lutte corps à corps

« Attente dans le camp CONTRE Soleil brûlant »

 Pervers, obstiné, il agite mes mirages

Capte les derniers sursauts de mon ardeur

Ses rayons de pierre me lapident avec rage

Je sombre, abandonnant au néant le rêve de bonheur

 Le ressac du soir me récupère à l’agonie

Ses ondes de fraîcheur me submergent

Je reviens à la vie

Je respire enfin

Je sommeille heureux

 Le rendez-vous avec la mort sera donc remis

 

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je suis née de cet hasard qui ne s'oublie pas car : 

"Dans une histoire, il y a une larme, 

la larme sèche, l'histoire reste 

cicatrice ou empreinte" 


fille de rouge SUR LES TRACES DE L’EXIL

 Simple esquisse d’un legs non consenti

Mon histoire, celle que je porte

Gravée en ébarbes de cœur

Empreinte de ces douleurs amassées

De ces faims jamais rassasiées

De ces champs arides

De ces mines meurtrières

De ces châteaux en Espagne

Si souvent racontés

Secrets enfouis puis oubliés

 

Séparations accumulées

Baluchons en guise de bannière

Des mains dans les poches pour traverser les frontières 

Un exil perpétuel, des horizons sans cesse repoussés

 

Ce long pèlerinage transmis en héritage par mes aïeux éloignés

Mes grands-parents ont marché pour manger

Mon père a marché pour défendre ses idées

 

Je suis d’une lignée qui ne courbe pas l’échine

Qui pratique la fierté

Qui recommence sans cesse des bouts de vie abandonnés

 

Aujourd’hui, je connais mon histoire

Celle qui m’avait été subtilisée et à présent je sais….

 Je suis de Santo Petar

Je suis de Linares

Je suis de Jaén

Je suis de Baeza

Je suis de Madrid

Je suis de Murcia

Je suis de Valencia

Je suis de Gandía et même du petit Gandía

Je suis de Marsillargues

Je suis de Lunel et quelquefois de Lunel -Viel

 

Je suis française

Je suis espagnole

 

Je suis sur la ligne indécise d’une frontière mal recousue

Je suis de partout et de nulle part à la fois

 Mais

 Je sais que je ne suis surtout pas d’ailleurs


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Publications diverses 

« Quand les arbres parlaient la langue des cigales » publication - Bilingue – Edition Stabile et Estudillo editores collection POESIA GARVM 2020 – Espagne disponible en librairie à Séville et à Valencia
« Maria Luz, une lumière dans les ténèbres » 2019 - Roman Collection Amarante Edition de l’Harmattan
« Rouge Vif » 2019 -  « Fille de Rouge » 2019- « Les Treize Roses et autres poèmes »  2019 -  
« Poesia y Harragas » 2019 - collectif Amargord ediciones
«  IXQUIC » 2018- collectif Editorial Verbum  Chili
« Las noches de Lupi en Moguer Voces del extremo» 2018 collectif - Edition LUPI Espagne 
« Voces del extremo - Antología 2012/2016» 2017 2018 2019 2020 2021- Ouvrage collectif - Amargord ediciones
« Bêtes et bestioles »  2017 - Revue Souffle – ouvrage collectif - Les écrivains de la Méditerranée
« Anuncios X Palabras » 2017 - Ouvrage collectif Edición Baile del Sol
« Les pas d’un  exil à l’encre rouge » 2017 -  Editions Nouvelle Pléiade Paris
« Contras ante la represión » 2016 -  NO + - Recueil poétique international collectif (Murcia)
« Enredado» 2016 - Edición Baile del Sol - Recueil poétique international collectif
 « Empreintes de la mémoire en héritage » 2014 - Ouvrage sous forme de livre d’artiste – Edition limitée –  Poèmes et estampes de différentes techniques 
 
 
Publications dans diverses revues :
« revue n°8 de la revue Encre »
 L’Agora, l’Etrave
« Poesia asul  -  caderna de poesia » ouvrage collectif international Portugaloctobre 2018
 Revue Souffle
Coordination d’anthologies Les voix de l’extrême poésie et culture
« Femmes libres » 2021
 « Les voix de l’extrême » 2020
 

  Livres uniques et boites d’artiste

 §  ¿porqué te vas? – Poème et Monotypes

§  Les amants du Guadalquivir  - Poème et monotypes

§  Le Guadalquivir : Poème et monotype

§  L’enfant andalou ; Poème et monotype

§  La rage : libre objet : Poème – matrices cartons – monotypes – et Gravure

§  L’exil à tout prix : poème – monotype

§  Passer le trait : poème – monotype

§  Moguer 1936 : monotypes et poème d’Antonio Orihuela

§  Badajoz 1936 : monotypes et poème d’Antonio Orihuela

 

Manuela Parra est née dans l’Hérault à Lunel, près de Montpellier en France. Fille de l’exil, poétesse et graveuse, elle se définit comme « Françaisespagnole » vivant sur la ligne indécise d’une frontière mal recousue. Voulant avec d’autres intellectuels et artistes français et espagnols « recoudre la frontière ».

 C’est la découverte de poèmes du « Romancero Gitano » de Federico Garcia Lorca, recopiés par son père interné dans les camps d’Argelès-sur-Mer en 1939 qui lui révèleront la poésie. Son thème privilégié reste l’exil et notamment celui des républicains espagnols, histoire qu’elle découvre tardivement et qu’elle s’acharne à réhabiliter à travers sa poésie et sa production artistique.

 Depuis elle écrit et parcourt ses deux pays, la France et l’Espagne, avec ses poèmes et ses gravures pour offrir un dialogue émouvant, réveiller la mémoire et dénoncer l’inconcevable.  Elle publie en France « Les pas d’un exil à l’encre rouge » aux Editions de la Nouvelle pléiade, dans différentes revues et anthologie en France, en Espagne, au Chili.

Elle réalise des boites d’artistes associant des gravures et des poèmes dont une, est exposée à la Fondation Machado à Collioure.

 Lors de nombreux récitals de poésie en France et en Espagne, Manuela Parra recueille des témoignages terribles sur la répression en Espagne, durant et après la guerre d’Espagne, et sur l’exil des républicains espagnols en France. Ils inspireront l’histoire de son roman, « Maria-Luz, une lumière dans les ténèbres », publié aux éditions de l’Harmattan en France en 2019 dans la collection Amarante. Ce livre redonne souffle à cette tragédie et montre tout à la fois l’horreur et l’espoir vécus des deux côtés de la frontière.

 Son dernier recueil « Quand les arbres parlaient la langue des cigales » (Bilingue 2020) aborde ses thèmes privilégiés : l’exil, la mémoire, l’incohérence des hommes et du monde. Il est publié en Espagne par « Edition Stabile et Estudillo editores - collection POESIA GARVM

 Elle travaille actuellement sur deux ouvrages : « Universos » ou « univers parallèles » qui raconte l’histoire de l’intégration des enfants d’espagnols et sur un recueil de poésie « siècle 21-2020 ».

 Invitée en 2015 aux rencontres des poètes à Moguer (Huelva Espagne) par le célèbre poète espagnol Antonio Orihuela, elle découvre le mouvement de la poésie de la conscience et de critique sociale « Voces del extremo ». Sur ces principes, elle fonde en France « Voix de l’extrême poésie et culture ». Cette association réunit des poètes français et espagnols, des musiciens, des artistes peintres et des enfants de l’exil. 

 En 2019, elle lance les premières rencontres franco-espagnoles en France grâce au soutien de la Région Occitanie Midi Pyrénées et avec la complicité, de la Fondation Juan Ramon Jiménez, des équipes universitaires de recherche du Llacs de l’université Montpellier 3.

Elle associe l’histoire et la poésie sous le thème « Répression exode exil d’hier et d’aujourd’hui ».  

 En 2020 et 2021, elle investit le thème des « Femmes espagnoles en résistance, femmes libres et engagées en France» pour valoriser leur engagement en Espagne et en France et leur lutte pour l’émancipation des femmes.

A la demande de la Région Occitanie, elle lance une action de collecte mémorielle filmée sur l’histoire de ces femmes en exil. Elle organise des deuxièmes rencontres franco-espagnoles consacrées aux femmes espagnoles en résistance, femmes libres et engagées ». 25 partenaires et 650 personnes participent à cette rencontre.

 Dans la logique du Printemps des poètes 2020 consacré au « Courage », elle coordonne des anthologies internationales : La première « L’exil » a été dédié à l’action de SOS Méditerranée. 18 poètes et artistes participeront au soutien de l’action de Sos Méditerranée lors d’une manifestation à Montpellier au Gazette café.

La deuxièmes anthologie 2021 « Femmes libres » a réuni 31 poètes, poétesses, artistes, peintres français et espagnols dans le cadre du printemps des poètes dédié cet année aux Désirs. Ce livre réunit 31 poètes et artistes peintres.

La troisième anthologie poétique internationale toujours au moment du Printemps des poètes dédié à l’éphémère sera publiée en mars 2022. Ce projet réunit 26 poètes de différentes nationalités.

Manuela Parra fait partie de la Maison de la poésie Jean Joubert de Montpellier, de la Fondation Antonio Machado, de la Fondation Juan Ramon Jimenez.

 

 

 

 

 


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